Ce 1er mars 2016, le Pape François accorde une audience privée à une trentaine de Français, politiciens ou membres de la société civile, dont je serai. Une demi-heure en face à face avec un des leaders les plus respectés au monde, il y a de quoi en parler dans les salons… Vanitas vanitatum. J’avoue, sans fausse humilité ni cynisme, que ce n’est pas le genre d’autopromotion mondaine qui me fait vibrer.

La chance de pouvoir converser avec François, c’est d’abord celle de rencontrer un grand spirituel, c’est-à-dire un homme qui porte une vision de l’homme et du monde. En particulier, une vision longue de l’Histoire, qui fait si souvent défaut aux « grands » que l’on rencontre, et qui donne aux propos du Pape leur profondeur et leur intensité.

La chance, c’est aussi de rencontrer celui qui représente l’unité de la plus grande et de la plus ancienne organisation du monde, l’Eglise catholique, et d’entendre ce qu’il peut nous dire ou nous demander à nous Français, de son point de vue qui est universel. En acceptant de rencontrer des personnes engagées dans la société et en particulier le courant des Poissons roses (www.poissonsroses.org), courageux mouvement de « papistes » au sein du parti socialiste, qui compose le gros de cette délégation et que j’ai accompagné comme membre de son « comité des sages », le Pape témoigne d’une curiosité pour les transformations profondes de notre société occidentale qui mérite qu’on y prête nous-mêmes attention. Ses questions seront aussi importantes que nos réponses.

Pour ce qui me concerne, n’ayant aucun engagement partisan mais disponible pour servir, autant que je le peux, ceux qui à gauche, à droite ou ailleurs s’engagent pour bâtir une société à hauteur d’homme, voici la question que j’aimerais poser au pape François, dans le cadre assez particulier de cette audience.

Saint Père, depuis l’encyclique Rerum Novarum, qui a défini de manière particulièrement marquante la place et les limites de l’entreprise dans la vie sociale, l’économie a beaucoup changé. En particulier, certaines entreprises sont devenues géantes, globalisées, dépassant en taille et en puissance la plupart des Etats au point de rendre illusoire leur indépendance économique. Une centaine d’entreprises contrôlent désormais 90% de la consommation des êtres humains. Ces entreprises mondiales sont des corps intermédiaires nouveaux dont les orientations sont déterminantes pour l’avenir de nos sociétés. Elles nécessitent de nouvelles régulations.  Ne serait-il pas opportun que l’Eglise catholique lance une initiative pour réfléchir collectivement sur la puissance acquise par ces entreprises et sur les moyens de gouverner leurs actions au service du bien commun ?

Il y aurait évidemment bien d’autres interrogations à lui soumettre et sur bien d’autres sujets… mais, encore une fois, dans le cadre de cette audience, celle-ci me semble importante. Parler de la société française sans tenir compte de cette nouvelle donne mondiale, c’est manquer une partie de l’essentiel. Alors que certaines entreprises sont devenues universelles (c’est le sens du terme « globalisé ») et qu’elles constituent de nouvelles « puissances et dominations » qui peuvent compter sur une accumulation gigantesque de ressources techniques et financières, il me semble politiquement précieux d’entendre le point de vue de long terme du représentant de l’Eglise universelle (c’est le sens du terme « catholique »), lui qui ne peut compter que sur la foi de ses fidèles.