Pierre-Yves Gomez

Né en 1960, Pierre-Yves Gomez est économiste et docteur en gestion, actuellement professeur et directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises (IFGE) à EMLYON Business School. Il enseigne la stratégie et la gouvernance d’entreprise. Ses recherches portent en particulier sur la dimension politique du gouvernement des entreprises et sur son lien avec la stratégie. Il intervient aussi à HEC Paris et a été professeur invité puis chercheur associé à la London Business School. Ses interventions académiques l’ont conduit également à Lisbonne, Gènes, Saragosse, Moscou, Montréal, Saint-Gall.

Titulaire d’un  D.E.S.S en Economie Financière et Bancaire de l’Université Lyon II, il a occupé plusieurs positions managériales jusqu’à rejoindre l’EM Lyon en 1989 en tant que professeur associé. Il a obtenu son doctorat en Sciences de Gestion en 1993 à l’Université Lyon III, puis, en 1997, son Habilitation à diriger des Recherches à l’Université Paris Dauphine. Depuis 2003, il dirige l’IFGE.

Il tient une chronique mensuelle dans Le Monde Economie depuis 2008 et intervient régulièrement dans des articles dans Le Figaro, Les Echos, Le Nouvel Economiste, Alternatives Economiques ou Le Soir. Sa participation au débat public se fait aussi par l’édition des Cahiers pour la Réforme et Preuves à l’Appui, diffusés largement par l’IFGE. Il participe ainsi à une réflexion à la fois académique et publique sur le gouvernement des entreprises et la place de celles-ci dans la société.

Ma lecture de Pierre-Yves Gomez

Sébastien DérieuxPar Sébastien Dérieux, chercheur en gestion

LES FONDEMENTS THEORIQUES

Représentant important de l’économie des conventions en gestion dès les années 1990, Pierre-Yves Gomez innove en apportant ce cadre d’analyse dans le domaine des sciences de gestion et élargit le champ d’application de la jeune « théorie des conventions ». Dans le prolongement du mimétisme de René Girard et avec la rigueur épistémologique tirée de la pensée de Jean-Louis Le Moigne, Gomez nous montre comment les comportements économiques se définissent à travers les croyances que construisent les acteurs. Car les croyances ne sont pas des données : elles se forment de manière émergente selon les contextes à partir de plusieurs conventions concurrentes. Cette « structure profonde » permet d’expliquer les théories managériales et les pratiques économiques de manière réaliste.

Gomez s’attache dans ses deux premiers ouvrages, Qualité et Théorie des conventions (1994) et Le gouvernement de l’entreprise (1996.), à montrer méthodiquement comment et dans quelle mesure le choix d’hypothèses anthropologiques conditionne les résultats des théories de gestion et les pratiques managériales. En effet, la vision de l’homme que le théoricien ou le praticien adopte détermine ses conclusions théoriques ou son style de gestion. In fine, l’idéologie sous-jacente a une influence invisible mais puissante sur notre perception personnelle de l’homme et du travail.

En lisant Gomez, nous suivons la progression théorique qui l’amène à se concentrer sur l’analyse de l’organisation sociale où se réalise l’idéologie libérale et où se concrétise le travail et le management : l’entreprise. Dans L’entreprise dans la démocratie (2009, écrit avec Harry Korine et d’abord publié en anglais), il expose comment l’idéologie libérale s’incarne et se réalise dans l’entreprise libérale. Les pratiques démocratiques, issues de la tradition libérale, se développent dans la gestion politique de l’entreprise : la gouvernance. L’entreprise véhicule et déploie alors la structure idéologique et politique du libéralisme. Portant le projet politique du libéralisme, et notamment donc celui de liberté des individus, l’entreprise doit paradoxalement contraindre l’autonomie individuelle en organisant l’économie et en rationalisant le travail. Nos sociétés libérales s’inscrivent dans une dialectique entre l’idéal politique de fractionnement individualiste, contre tout Léviathan, et l’augmentation du pouvoir politique des organisations sociales par le jeu de l’économie et notamment celui des entreprises. Subséquemment, les enjeux de la gouvernance des entreprises apparaissent comme profondément politiques et décisifs. C’est en suivant le travail de Gomez que j’ai commencé à mesurer l’importance politique des multiples enjeux de la gouvernance des entreprises, pour les salariés comme pour l’orientation de la société dans son ensemble.

 LES IMPLICATIONS PRATIQUES

Mais il me semble que la portée du travail de Gomez, bien que théorique, est avant tout pratique. Reconnu comme un spécialiste de la gouvernance, Gomez a dirigé l’élaboration du code MiddleNext des entreprises moyennes cotées. Il est aussi consulté à ce sujet par des petites et grandes entreprises et a été auditionné officiellement à plusieurs reprises dans le cadre de l’élaboration de lois portant sur la gouvernance des entreprises.

Dans son dernier ouvrage, Le travail invisible (2013), Gomez construit une économie politique du travail réel. Il fait en particulier le lien entre la crise économique des années 2008 et l’épuisement du travail réel. Sa thèse est que les élites politiques et économiques ne « voient plus le travail » parce qu’elles pilotent l’économie et l’entreprise à partir de concepts, d’indicateurs abstraits, d’agrégations et de tableaux de bord. Il s’en suit une crise de la création de valeur, bien plus profonde que la crise financière. Il déduit que c’est en remettant le travail au cœur des organisations que se renouvelleront les entreprises et donc (dans la logique de son approche de la place de l’entreprise dans la « fabrication de la société ») notre société tout entière. Le travail invisible nous plonge dans une réflexion de fond sur notre travail, comme nous le vivons personnellement, pour comprendre le travail, point de départ de l’économie et condition sine qua non de création de valeur.

Livre après livre, Gomez construit une théorie économique à partir de l’observation de l’économie réelle telle qu’elle est pratiquée dans les entreprises et vécue par les personnes qui les composent. Loin des abstractions de nombreux économistes, il propose une théorie des organisations dans la tradition de l’économie politique. Il place donc finalement la stratégie et la gouvernance des entreprises dans une réflexion plus large sur le rôle politique et social de l’entreprise et du management.

 

Principales publications

  • Qualité et théorie et des conventions, Economica, 1994
  • Le gouvernement de l’entreprise, InterEditions, 1996
  • La République des actionnaires: le gouvernement des entreprises entre démocratie et démagogie, Syros, 2001
  • The leap to globalization, Jossey Bass, 2002, avec Harry Korine.
  • Entrepreneurs and Democracy : A political Theory of Corporate Governance’’, Cambridge University Press, 2008, avec Harry Korine.
  • L’entreprise dans la démocratie, De Boeck, 2009, avec Harry Korine
  • Le travail invisible. Enquête sur une disparition, François Bourin Editeur, 2013