Malgré sa qualité technique difficile, la conférence que Michel Houellebecq a donné en Argentine est une passionnante synthèse sur les mutations idéologiques qu’ont connu les « intellectuels français », parce qu’elle articule l’analyse de fond à l’expérience vécue dans un style très épuré. En ce sens, sa forme rejoint son contenu. J’en retiens deux leçons : d’une part qu’il n’est pas possible de « philosopher » sur la société comme ont prétendu le faire Sartre ou Camus et bon nombre de pseudo intellectuels contemporains sans avoir une connaissance sérieuse des acquis de la science, qu’elle soit naturelle ou sociale, et notamment de l’économie : ils déterminent le cadre de pensée dans lequel se déploie et se modifie notre représentation de «l‘être humain ». D’autre part, les penseurs dits « réactionnaires » des années 2000 (Finkielkraut, Murray, Dantec, Zemmour, etc. ) ont été les acteurs d’une libération intellectuelle moins par le contenu d’une pensée intentionnellement polémique, que par leur posture dissidente : ils ont assumé de penser et de parler « en dehors du cadre » médiatique politiquement correct et d’en subir la vindicte. Cette résistance à l’ordre en a fait des dissidents bien plus efficaces que ceux qui prétendaient « penser la révolution ». Reste désormais à proposer des analyses hors du cadre.