Institut Français de Gouvernement des Entreprises
Présentation
J’ai fondé l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises (IFGE) en 2003 au sein d’EMLYON Business School où j’enseigne depuis déjà plus de 20 ans. Au cours de ces années, l’IFGE est devenu un des grands centres de recherche européens spécialisé sur la gouvernance des entreprises. Il intègre aujourd’hui une dourzainechercheurs confirmés et des doctorants. Nous travaillons à partir d’une base de données exclusive de plus de 700 entreprises et nous produisons des outils de synthèse destinés à mettre les réflexions qui en résultent à disposition du plus large public.
Car l’IFGE a « quelque chose à dire » à la société et pas seulement aux spécialistes. C’est pourquoi le centre s’est doté d’un « laboratoire social », pour que les idées des académiques et des praticiens se fertilisent mutuellement. L’IFGE est ainsi au cœur d’un réseau de partenaires actifs (entreprises, syndicats, politiques, associations).
Depuis 2003, l’institut développe ses travaux autour de 4 pôles de recherche : Dirigeants et administrateurs, Actionnaires, Capital humain et financier, Entreprise et société.
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Durant les mois passés à la London Business School comme professeur puis chercheur invité, et après
Quelques questions pour mieux comprendre l’IFGE:
– Qu’est ce qui vous a conduit à fonder l’IFGE ?
Durant les mois passés à la London Business School comme professeur puis chercheur invité, et après être passé par les universités américaines, j’avais été frappé par le fait que les questions de gouvernance étaient dominées par la recherche anglo-saxonne pour une raison essentielle ; les collègues américains disposent d’énormes bases de données sur leurs entreprises, alors que nous n’avons pas grand-chose en Europe et en France – y compris d’ailleurs en Grande Bretagne. De fait, l’Europe est un continent morcelé en espaces juridiques, culturels et économiques très différents. C’est une chance pour comprendre les différentes formes de gouvernance, mais c’est aussi un handicap parce que nous n’avons pas de statistiques suffisantes pour faire des études comparatives et de long terme. Or cette situation est injuste et dangereuse. Injuste parce que les chercheurs sont obligés de faire des études à partir des bases de données américaines, ce qui est d’un intérêt médiocre pour comprendre la diversité des situations dans le monde et notamment chez nous. Dangereux parce que les idées et les principes du capitalisme anglo-saxon se sont imposés, non pas parce qu’ils étaient meilleurs (comme l’histoire l’a montré depuis) mais parce que c’était les seuls à se prévaloir d’études supposées « scientifiques ». En fondant l’IFGE, je voulais qu’il existe en France un laboratoire de recherche sur la gouvernance qui, d’une part pose les questions de gouvernement d’entreprise dans la culture propre à la France, c’est-à-dire avec une dimension politique et sociétale forte. D’autre part, je souhaitais que les chercheurs français puissent utiliser des données statistiques fiables de nos propres entreprises pour pouvoir faire de la bonne recherche.
– Depuis combien de temps et pourquoi/comment vous êtes-vous intéressé à la gouvernance ?
Depuis les années 1995. De fait, mon travail de recherche porte principalement sur l’existence des entreprises : pourquoi existent-elles ? Pourquoi sont-elles acceptées ? Je trouve l’objet entreprise tout à fait fascinant : pourquoi tant de personnes vont-elles s’employer dans des entreprises et obéir à leurs codes, leurs injonctions, leur culture ? J’ai commencé à travailler sur les croyances en économie, qui font que l’on accepte des situations parce qu’elles nous semblent normales (Qualité et théorie des conventions, 1994). Assez vite, je me suis orienté vers la question du gouvernement des entreprises. Qui est légitime pour orienter les entreprises, pour leur faire prendre des virages stratégiques parfois audacieux, dangereux voire tragiques ? Qui est responsable et au nom de quoi ? Ces questions sont politiques et elles donnent à l’entreprise sa dimension politique. J’ai d’abord étudié les liens entre les théories économiques sous-jacentes et la manière dont la gouvernance était pensée, notamment dans les pays anglo-saxons puisqu’à l’époque, on parlait essentiellement de corporate governance (Le gouvernement des entreprises, 1996). Puis je me suis de plus en plus concentré sur la relation entre le gouvernement de l’entreprise et celui de la société. De fait, on ne peut pas les isoler. On gouverne les entreprises dans un contexte, une société, une situation historique. Aujourd’hui, c’est celle du libéralisme extrême, de la financiarisation, mais aussi du « tout-démocratique ». Si on ne tient pas compte de cela, de nombreuses questions nous échappent comme la demande de responsabilité sociale, la pression sur les conseils d’administration ou les scandales autour de la rémunération de certains dirigeants.
– Quel est le positionnement de l’IFGE, ou quelle est sa spécificité pour aborder ces thèmes?
Je l’ai dit, notre approche est résolument politique. Bien sûr nous nous intéressons aux conseils d’administration, aux profils et aux rémunérations de dirigeants ou aux levées de fonds sur les marchés, comme tous les chercheurs de ce champ. Mais nous ne perdons jamais de vue que ce savoir est intégré dans une vision plus large de l’entreprise et de son rapport à la société. Par exemple, la question des rémunérations, qui agite beaucoup de monde est intéressante à observer parce qu’elle traduit clairement la fracture entre de très grandes entreprises, que nous appelons les géantes, et les autres. C’est dans les géantes que l’on voit les rémunérations exploser. Comment cela est-il possible et dans quel but ? Nos chercheurs s’appliquent à conserver une image globale de l’entreprise dans la société et à placer leurs recherches sur tel ou tel objet de la gouvernance dans cette image, un peu comme les pièces d’un puzzle. Concrètement, nous marchons sur deux jambes : le cadre théorique dont je viens de parler et des études statistiques systématiques. Grâce au travail formidable de mon collègue Zied Guedri, nous avons désormais une base de données sur 20 ans concernant plus de 700 entreprises. On peut se comparer aux collègues américains sans rougir. Et on peut analyser les évolutions de long terme de la gouvernance des entreprises, en lien avec l’évolution de leur activité, de leurs résultats ou de leurs stratégies. En conséquence on peut aussi avoir une vue objective d’un gouvernement d’entreprises caractéristique de la culture française.
– Vous avez aussi une organisation et un positionnement dans la société assez particuliers.
Nous considérons que la recherche doit être au service de l’action, c’est-à-dire de ceux qui ont à exercer des responsabilités sur la gouvernance d’entreprise, qu’ils soient politiques, dirigeants, administrateurs mais aussi journalistes, syndicalistes ou simple citoyen. C’est pourquoi nous produisons des documents « grand public » qui mettent la recherche à disposition des non spécialistes. Nous participons aussi beaucoup aux débats publics, à l’élaboration des règles et aux discussions sur l’évolution de la gouvernance. C’est pour moi une question fondamentale adressée aux chercheurs : leur utilité sociale n’est assurée que s’ils savent converser avec ceux qui peuvent utiliser leur recherche ; sinon elle tourne en rond…
– Quels sont les enjeux de la gouvernance pour le citoyen lambda ?
Les grandes entreprises sont des acteurs puissants dans nos sociétés. Elles sont même devenues les acteurs les plus puissants. L’ignorer c’est passer à côté d’une réalité dans laquelle nous sommes pourtant tous impliqués. A quoi cela sert-il de débattre sur les mandats de nos maires ou de nos députés si on ne voit pas que les grandes entreprises ont un impact infiniment plus grands sur notre vie quotidienne ; et en conséquence, la manière dont elles sont gouvernées nous concerne autant que la manière dont est gouvernée notre cité ou notre région.
– Quel est l’enjeu de gouvernance le plus brulant ?
Je crois que c’est la représentation des différentes parties prenantes au conseil d’administration. Qui a le droit d’orienter la marche des entreprises et donc de participer à son conseil ? L’enjeu est considérable car on voit que la relation entre l’entreprise et la société passe par la résolution de cette question. Plus les parties prenantes sont nombreuses, plus la société est représentée dans sa diversité et donc plus l’entreprise est incluse dans cette société.
– Comment voyez-vous l’IFGE dans 10 ans ?
J’aimerais qu’il devienne un centre ouvert de ressources et de référence dans lequel tous les chercheurs qui veulent travailler sur la gouvernance pourraient contribuer et enrichir le débat, quelle que soit leur institution. Et qu’il soit reconnu comme une sorte d’agora par ceux qui gouvernent les entreprises et pourraient trouver dans l’IFGE des solutions ou des interrogations enrichissantes.