Dans sa chronique « Entreprises » intitulée « Janus plutôt que Jupiter : Les deux faces de la réforme Macron » , Pierre-Yves Gomez souligne une disposition de cette réforme annoncée du code du travail décisive pour l’avenir du dialogue social : réunir en un comité unifié les trois instances représentatives des salariés.
Article initialement paru dans Le Monde Eco et Entreprise du 16 juin 2017
La réforme annoncée du code du travail devrait amplifier les lois Macron et Rebsamen de 2015, ainsi que la loi El Khomri de 2016. Celles-ci visaient déjà à faire de l’entreprise le lieu central du dialogue social. Allant au bout de ce projet, la réforme de 2017 étendrait la priorité de l’entreprise sur la branche professionnelle pour tous les accords concernant le travail : durée, niveau des salaires, heures supplémentaires…
La situation de chaque entreprise deviendra déterminante et la gestion des conditions de travail devra s’adapter à ces contraintes. Le progrès social sera subordonné au cas par cas à la performance économique. Cette disposition de la réforme cristallise d’autant plus les tensions que la négociation est plus aisément contrôlable par les dirigeants au niveau de leur entreprise qu’au niveau d’une branche.
Pourtant, une autre disposition, bien que d’apparence secondaire, est décisive sur l’avenir du dialogue social. Généralisant une possibilité ouverte par la loi Rebsamen, elle prévoit de réunir en un comité unifié les trois instances représentatives des salariés : le comité d’entreprise (CE), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le délégué du personnel (DP).
Une modification profonde de la gouvernance des entreprises
Aujourd’hui, les compétences de ces trois instances sur la gestion et l’organisation du travail se recoupent. Les réunir en un comité unique limiterait le nombre de réunions inutiles, si bien que cette disposition est présentée comme une simplification du code du travail.
A tort, car elle pourrait en réalité modifier profondément la gouvernance des entreprises. Le nouveau conseil représentera les intérêts des salariés en concentrant toutes les missions des précédents comités, depuis l’attention aux conditions de travail, à son organisation et à sa gestion jusqu’à la défense des réclamations individuelles ou collectives des salariés. Il devra donc préparer et signer les accords sur le travail au niveau de l’entreprise. Il deviendra ainsi l’instance qui négociera l’allocation des ressources sociales de l’entreprise en fonction de ses résultats économiques, un rôle stratégique qui n’est pas inférieur à celui du conseil d’administration. L’enjeu est de savoir de quels pouvoirs réels il sera doté par la réforme.
Aujourd’hui, le chef d’entreprise (ou son représentant) préside le CE et le CHSCT. Dans la nouvelle configuration, l’autonomie de ce comité est nécessaire pour instruire et approuver les accords d’entreprise. La présidence devra logiquement être assurée par un des membres élus des salariés, sur le modèle du Betriebsrat (« conseil d’entreprise ») allemand. Cela permettrait de clarifier sa fonction d’instance concourant pleinement à la régulation de l’entreprise.
Régression ou codétermination ?
Composé d’élus du personnel, ce conseil pourrait être autorisé à s’ouvrir, comme le fait le conseil d’administration, à des personnalités extérieures à l’entreprise. Il accroîtrait ainsi ses compétences, notamment dans la perspective d’alimenter la réflexion sur le travail.
Depuis les lois Auroux de 1982, deux membres du CE actuel siègent au conseil d’administration sans droit de participer aux votes. La réforme pourrait leur accorder le statut d’administrateurs à part entière, afin d’assurer la cohérence entre les deux instances de gouvernance. Là encore, on se rapprocherait du modèle allemand de codétermination, ce que préconisait dès 2012 le rapport Gallois sur la compétitivité française.
La fusion des instances représentatives n’est donc pas un toilettage mineur du code du travail. La manière de considérer le nouveau comité chargé des principales questions sur la gestion du travail dessinera le futur dialogue social. Peu autonome, mal formé et peu respecté, il ne fera pas le poids dans les négociations, et la réforme risque de provoquer la plus grande régression sociale depuis 1945. Si, au contraire, le comité unique est établi comme une véritable instance de gouvernance, la réforme tiendra ses promesses en inaugurant dans les entreprises ce dialogue institutionnalisé qui a si bien réussi aux Allemands.