La loi Copé-Zimmerman de 2011 complétée en 2017 puis en 2020 a imposé la parité dans les conseils d’administration pour toutes les entreprises françaises de plus de 250 salariés. Celle du 11 mai dernier votée en première lecture par l’Assemblée nationale poursuit cette poussée législative visant à établir une gouvernance d’entreprise paritaire qu’elle élargie à présent aux instances de direction. Elle enjoint les comités exécutifs des entreprises de plus de 1000 salariés à accueillir au moins 40 % de femmes en 2030 contre 22% en moyenne aujourd’hui.

Une composition des directions d’entreprise plus équilibrée marquera un indéniable progrès de la justice sociale mais aussi de l’efficacité économique grâce à une représentation plus fidèle de la société dans les instances de décisions stratégiques. Se réjouir d’une telle évolution invite aussi à réfléchir aux conséquences qu’elle produira à moyen terme, notamment du fait du renouvellement qu’elle induira au sein des élites dirigeantes. On peut en repérer deux.

Un déséquilibre qui en masque d’autres au sein des entreprises

Première conséquence, lorsque cette évolution sera achevée, les revendications sociales et salariales qui ont été occultées par l’urgence des luttes destinées à assurer l’égalité de pouvoir entre les hommes et les femmes seront réactivées. En effet, une meilleure représentation féminine dans les instances directoriales n’abolit pas les inégalités de conditions et de traitements dues aux différences de niveaux hiérarchiques dans les organisations elles-mêmes, que ce soit en termes de mesure, de reconnaissance ou de salaires. Même conduites par une direction mixte, les entreprises demeureront des structures pyramidales soumises à des tensions pour l’exercice de l’autorité ou la répartition des revenus.

Plus l’égalité des sexes entrera dans les mœurs et dans les pratiques, plus réapparaîtront les revendications des travailleurs subalternes, qu’ils soient femmes ou hommes, se sentant peu reconnus, déconsidérés ou mal payés par les femmes et les hommes composant l’élite. La question sociale du milieu du XXIe siècle, un temps focalisée sur le rapport de domination sexuée, tendra à se recentrer sur le rapport de domination salariale, comme elle l’était un siècle plus tôt.

La parité, une aubaine pour les hommes ?

Une deuxième évolution envisageable concerne la manière dont les élites masculines vont devoir repenser leurs trajectoires professionnelles. Toutes choses égales par ailleurs, un jeune homme issu des meilleures écoles aura deux fois moins de chances qu’à l’heure actuelle d’accéder dans le futur à des postes de direction. En conséquence, comme les femmes en font l’expérience aujourd’hui, la carrière d’un grand nombre d’entre eux se heurtera, à partir de la quarantaine, à un plafond. Pour déployer leur énergie, il leur faudra trouver d’autres moyens que la rivalité pour l’obtention des postes de pouvoir à laquelle un stéréotype de genre les encourageait jusqu’alors.

Ils pourraient trouver de quoi nourrir leur épanouissement dans la création d’entreprise, mais aussi dans la vie familiale ou amicale, dans les loisirs, les activités caritatives ou artistiques. S’il en est ainsi, la société se transformera de manière plus radicale qu’on ne l’imagine, au moins autant à cause de la féminisation des fonctions de direction que parce que les hommes seront conduits à revaloriser des activités qui leur semblaient jusque-là négligeables. Si bien que le partage du pouvoir et des responsabilités économiques entre hommes et femmes stimulera la recherche d’un nouvel art de vivre au masculin.

 

Version originale de l’article du Monde du 15/06/21