Dans sa chronique, Pierre-Yves Gomez regrette que le coût du départ des capitaines d’industrie ne mérite toujours pas d’être plafonné à la différence de celui de travailleurs licenciés abusivement.
Si la réforme du code du travail par ordonnances présentées le 31 août est loin d’avoir l’ampleur que le gouvernement promettait au départ, une mesure traduit malgré tout l’esprit qui l’a animée. Au chapitre 2 de l’ordonnance 3, les indemnités accordées par le tribunal des prud’hommes en cas de licenciement irrégulier sont plafonnées entre un et vingt mois de salaires, au prorata du nombre d’années travaillées. Une grille de référence existait déjà, mais l’opportunité de l’appliquer était laissée à l’appréciation des juges. La nouveauté n’est donc pas l’encadrement des indemnités, mais le fait que le délit de rupture abusive d’un contrat de travail a désormais un prix connu d’avance.
Cette mesure vise à accroître la sécurité des entreprises dans la relation d’emploi en leur évitant les désagréables surprises d’avoir à verser de fortes indemnités en cas de licenciement sans cause sérieuse. Elle s’inscrit dans la continuité des dernières « lois travail », qui avaient réformé les procédures prud’homales pour les rendre plus rapides, améliorer la formation des juges et réduire le risque que représente, pour les employeurs, le coût d’un procès.
Le spectre souvent agité à ce propos est néanmoins peu fondé dans les faits, et la rareté des études sur la réalité des procès entretient le fantasme. L’une d’elles, conduite par la chancellerie en 2014 sur plus de quatre cents affaires, montre que le coût global moyen d’un licenciement injustifié est de 40 000 euros, frais de justice et de procédures compris.
Le travail, une charge dangereuse
Les indemnités versées au salarié ne dépassent pas 24 000 euros en moyenne, 11 100 euros en moyenne pour une entreprise de moins de 10 salariés et plus de 32 000 euros pour une grande. L’insécurité à laquelle doivent faire face les entreprises est donc très relative : les indemnités prud’homales restent faibles et exceptionnelles par rapport aux multiples risques financiers qu’affrontent par ailleurs les entreprises.
L’impact de la mesure sera donc négligeable économiquement. Et si elle figure néanmoins dans les ordonnances, c’est qu’elle produit des effets symboliques. Le premier est de renforcer l’image du travail comme un coût et une lourdeur qu’il importe de limiter. Le premier ministre a d’ailleurs souligné, lors de sa conférence de presse du 31 août, que, « pour le patron ou l’investisseur, le droit du travail est perçu comme un frein à l’embauche et à l’investissement ».
Si le capital est vu comme une source d’opportunités, de placements créatifs et de fluidité, le travail est regardé comme difficile à gérer, lent à s’adapter et peu flexible. D’où l’obsession, depuis deux décennies, de transformer la « force de travail » rigide en « capital humain » fluide. En limitant la prétention du juge à évaluer au cas par cas le prix d’un contrat de travail injustement rompu, le plafonnement des indemnités prud’homales participe de cet esprit qui regarde le travail comme une charge dangereuse.
Deux poids, deux mesures
Deuxième effet, la confirmation de la hiérarchie symbolique au sein de la communauté de travail dans l’entreprise. Il est difficile de ne pas comparer l’obstination avec laquelle cette mesure a été voulue et l’impuissance, non moins tenace depuis des décennies, à limiter les rémunérations des dirigeants des très grandes entreprises. Les indemnités versées lors de leur départ, même forcé, sous forme de primes, de retraites chapeaux ou de stock-options défraient régulièrement la chronique : par exemple, en 2015, 4,5 millions d’euros pour le patron de Sanofi ou 8 millions pour celui d’Alcatel-Lucent.
Les scandales répétés ont obligé l’Association française des grandes entreprises (AFEP) et le Medef à proposer dans leur « code » une limitation de ces indemnités à 45 % d’une rémunération de référence, sans toutefois imposer de contraintes aux conseils d’administration, qui les déterminent donc librement. Le coût du départ des capitaines d’industrie, même quand il est exigé par l’entreprise, ne mérite donc toujours pas d’être plafonné, à la différence de celui des travailleurs quelconques, même si leur licenciement est abusif.