Pas de démocratie actionnariale chez Danone.
La récente éviction du PDG de Danone, Emmanuel Faber, a été parfois interprétée comme la victoire de fonds d’investissement activistes. Détenant une part infime du capital de l’entreprise, ces fonds avaient voté contre le statut de société à mission adopté par plus de 99 % des actionnaires lors de l’assemblée générale de 2020.
Comme ils réclamaient le départ de M. Faber, on a conclu que celui-ci constituait leur revanche. Sans doute à tort, on le verra. Mais le point intéressant est que l’on a pu justifier leur immixtion dans la politique de l’entreprise comme la manifestation d’une « démocratie actionnariale ».
D’un certain point de vue en effet, la gouvernance actionnariale a l’apparence d’une démocratie même si elle est limitée aux actionnaires : ceux-ci ont la liberté d’exprimer leurs opinions sur l’avenir de l’entreprise soit par des votes formels en assemblée générale, soit par le jeu du marché, soit par le truchement des médias.
Céder ou pas : le conseil d’administration face aux activistes
La gouvernance actionnariale bénéficierait alors des atouts de ce régime en permettant à chaque actionnaire, même très minoritaire comme des fonds ou des ONG, d’influencer la marche de l’entreprise, sur des questions-clés comme le niveau des dividendes ou l’impact climatique. Par des protestations en assemblée générale mais, surtout, par des prises de positions publiques susceptibles de modifier l’opinion des autres actionnaires, un activiste peut apporter de la controverse et contrecarrer l’apathie voire la tyrannie de la majorité.
Mais cela est-il suffisant pour parler de démocratie ? Toute décision engageant l’entreprise reste assumée par son conseil d’administration et seules les résolutions votées par les actionnaires en assemblée générale s’imposent à lui. En dehors de ces assemblées formelles, le conseil est légitime pour tenir compte ou non des réclamations exprimées par certains actionnaires.
Face aux revendications portées par des activistes, il peut donc réagir de deux manières : leur céder ou pas. Soit il néglige leur pression et il ne leur cède rien. Il poursuit la feuille de route définie par l’assemblée générale en assumant pleinement ses responsabilités. Accessoirement, il peut feindre de les écouter pour les utiliser comme moyen de précipiter des décisions difficiles à prendre : par exemple, l’éviction d’un dirigeant.
Pas de débats, juste un prétexte
Ainsi chez Danone, M. Faber était contesté depuis des mois en interne et la pression des fonds a donné un prétexte commode au conseil pour trancher la situation. Soit, le conseil d’administration est faible ou divisé et il pilote en cédant aux minoritaires activistes les plus capables d’imposer leurs vues grâce à la forte médiatisation de leurs revendications. Sous couvert d’un supposé pouvoir de l’actionnaire, il se dédouane en fait de ses propres responsabilités.
Dans tous les cas de figure, on peut difficilement parler d’une « démocratie actionnariale ». Une authentique démocratie supposerait des débats argumentés entre les parties prenantes y compris entre les actionnaires, le souci partagé du bien commun et des espaces de délibération permettant de converger sur un projet assumé par l’exécutif et le conseil. La gouvernance des sociétés de capitaux
en est loin et la simple prise de parole publique des activistes, quelle que soit la pertinence de leurs revendications, ne peut faire illusion. Sauf à considérer que la démocratie politique elle-même n’est plus qu’un vaste et mouvant marché des opinions qui s’imposent aux gouvernants au gré des minoritaires les plus bruyants.
Version originale de l’article paru dans Le Monde