Dans une précédente chronique sur la subsidiarité, j’écrivais que « la première condition pour réussir une organisation subsidiaire c’est que le goût du « travail bien fait » doit animer les collaborateurs à toutes les strates hiérarchiques d’une confédération entrepreneuriale. » Pourquoi ce lien entre subsidiarité et travail bien fait ?
Toute entreprise se caractérise par sa culture du travail
Ce qui construit l’entreprise comme une communauté humaine, ce n’est pas un affect, un projet, un idéal, une histoire, ni même un objectif commun : c’est tout simplement le fait que l’on travaille ensemble. Il faut partir de là pour ne pas idéaliser l’entreprise (ou toute autre organisation) comme si elle pouvait exister en soi, comme espèce de communauté militante et hors sol. Il faut revenir au concret, c’est-à-dire au travail qui s’y réalise et qui la caractérise plus que tous les slogans et les manifestes.
La culture d’une entreprise c’est donc essentiellement une certaine culture du travail : la manière dont l’organisation honore ou non le travail réel de ses collaborateurs, à tous les niveaux, dont elle en prend soin comme de la ressource la plus précieuse car la finance ou la technologie sont interchangeables, pas le travail de qualité, engagé, solidaire, qui crée, finalement, le seul avantage compétitif radicalement différenciant à l’égard de la concurrence. « Dis-moi comment on travaille chez toi, je te dirai quelle valeur tu crées… »
Mais une telle culture suppose aussi que les collaborateurs considèrent eux-mêmes leur travail et celui de leurs collègues avec respect, pour autant qu’il est « bien fait », c’est-à-dire aligné avec les attentes, les règles, les savoir-faire, les « tours de mains », les résultats et l’utilité qu’on peut attendre de lui -mais aussi les moyens matériels et la reconnaissance qui lui sont accordés.
La culture du travail est donc un tout, une manière de vivre ensemble en se réalisant individuellement et collectivement par une certaine qualité du travail dont on peut tirer fierté. La prise en compte du travail bien fait comme culture n’est pas une option esthétique : elle est au principe de la réussite d’une organisation productive. Ce qui n’exclut pas, bien au contraire, de devoir s’interroger sur la finalité ultime de cet effort collectif.
Une condition de réussite de la subsidiarité
En quoi cela concerne-t-il la mise en oeuvre de la subsidiarité ? Si celle-ci suppose une délégation du pouvoir d’agir du bas vers le haut, une telle délégation n’est efficace que dans la mesure où chaque niveau, chaque équipe se repère par rapport au « travail bien fait » qui le concerne. Tel est le point cardinal, la boussole commune, le moyen de comparaison ultime des activités même elles sont totalement différentes (« fais-tu bien ce que tu dois faire? »); quelles qu’elles soient, elles aspirent, à leur niveau, à une certaine qualité du travail qui doit y être accompli. Et c’est cette aspiration partagée qui permet de se sentir responsable quand les conditions de son accomplissement peuvent être améliorées : « agis pour que je puisse bien travailler ».
Dans cette hypothèse, demander de l’aide aux échelons « supérieurs » confirme le pouvoir d’agir sans déresponsabiliser. Le manager qui répond à une telle demande en respectant lui-même le principe du « travail bien fait », non seulement honore la personne qui demande, mais donne sens à son propre travail, etc.
Ainsi l’emboitement des pouvoirs d’agir et de leur délégation du bas vers le haut est rendu logique par la confiance mutuelle que produit cette culture généralisée du travail bien fait à tous les étages.
On voit qu’en centrant la compréhension mais aussi l’animation de l’entreprise sur le travail–tel-qu’il- se-réalise et non sur des fantasmes de « cohésion d’équipes » ou de sentiments d’appartenance abstraits, on évite d’en faire une structure désincarnée, que l’on croit pouvoir animer par des narratifs ou des mots d’ordre. La subsidiarité n’est pas une nouvelle « mode managériale » imposée de haut en bas, mais une inclination commune et nécessaire à une certaine exigence du travail.
Comme on me l’a fait remarquer dans un commentaire, cela n’implique pas qu’il faille attendre que cette culture existe pour mettre en œuvre la subsidiarité. D’autant que celle-ci peut s’avérer être aussi un moyen de promouvoir ou de renforcer la culture du travail bien fait et de la responsabilisation à tous les niveaux. Il s’agit de rester encore et toujours attentif au travail réel et à sa qualité pour que la subsidiarité reste un moyen de le servir davantage.